Histoire d'un sans papier !

Publié le par Collectif des sans papiers des hauts de seine

Nous aimerions  bien que cette histoire se sache. Si c'est possible, transférez cela autour de vous au plus grand nombre de gens.

 
Par Tatiana Kalouguine, journaliste freelance.: tkalouguine@hotmail.com

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Vendredi 13, vers 13 heures, rue des Poissonniers dans le 18e. Des cris dans la rue. Je me penche à la fenêtre. Trois mètres en dessous de moi, un homme hagard est debout sur un retour du toit - plus tard j'apprendrai que cet auvent s'appelle une "marquise". L'homme est tombé de l'immeuble, semble t-il. D'un bond, il se jette à nouveau du haut de 5 mètres. Peu de temps après, les pompiers tambourinent à ma porte. Les passants les ont alertés. L'homme a sauté depuis l'appartement de mon voisin de pallier, Jean-Claude. Il est indemne et a pu remonter chez son ami. Les pompiers repartent. Je me rends chez le voisin et découvre Mario, jeune guinéen de moins de trente ans, assis sur un canapé. Raide, les yeux fixés vers le mur. Il porte un pantalon noir à pinces et un pull à col roulé, de belles chaussures. Le matin même, accompagné de Jean-Claude, il se rendait au Centre de réception des étrangers de la préfecture du 17e arrondissement pour y déposer un dossier de régularisation. Aucune chance, lui a-t-on dit. Il tient des propos confus, répète qu'il n'est pas un bandit, qu'il a toujours travaillé, payé son loyer, son électricité, ses impôts. Qu'il a tout tenté et qu'il n'y a plus d'issue: "Plus rien à faire, la mort, la mort, la mort." Sa femme, Véronica, est elle aussi sans papiers. Ils ont deux petites filles, Rosa et Solinda, nées en France.

Jean-Claude discutait avec lui dans son salon lorsqu'il a brutalement foncé à la fenêtre et enjambé la balustrade. Mon voisin est un professeur retraité qui travaille de temps en temps avec Réseaux éducation sans frontières (RESF) pour aider des sans papiers à constituer leurs dossiers. Voilà deux ans qu'il instruit celui de Mario et l'accompagne dans toutes ses démarches. Dans l'épais dossier qu'il ouvre devant moi, il y a deux formulaires roses : une "demande d'autorisation de travail pour un salarié étranger", signée par son ancien employeur qui souhaite le réembaucher dès qu'il aura des papiers, et un "engagement de versement à l'ANAEM (Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations)". Ce patron s'engage à verser 1.612 euros à l'administration au moment de l'embauche de Mario ! Il y a là des extraits de K-Bis de cette société, ainsi que la liste de tous les salariés. Il y a aussi un certificat de travail et des fiches de paies attestant que Mario a bien exercé en CDI comme ouvrier maçon dans cette entreprise entre septembre 2006 et juin 2008, date où l'employeur lui a demandé de démissionner, par peur de l'Inspection du Travail. Et aussi d'autre fiches de paie d'un précédant CDI. Arrivé en 2002, Mario travaille en France depuis février 2004.

Ce matin, au guichet du Centre de réception des étrangers de la rue Truffaut, il était certain d'avoir enfin réuni toutes les pièces requises pour l'examen de son dossier. Ce ne fut pas une mince affaire. Il s'était déjà présenté une première fois, le 26 novembre 2008. Les deux formulaires remplis et signés par l'employeur n'étaient pas roses, mais verts (on les lui avait remis trois semaines plus tôt). "Les formulaires viennent de changer, le dossier n'est pas reçevable", s'est-il vu rétorquer. Il est retourné chez son ancien patron, qui a accepté de renseigner et signer les nouveaux feuillets. Retour à la préfecture. Cette fois, les formulaires auraient dû être remplis en quatre exemplaires. Personne lors de sa précédente visite ne lui avait signalé ce détail. Nouveau passage chez l'entrepreneur, qui accède une fois de plus à sa demande, franchement motivé.

Ce matin, rue Truffaut, les règles avaient encore changé. "Ils nous faut vos bulletins de salaire des douze derniers mois", lui a répliqué l'employée de guichet, assez tendue. Comment Mario pourrait-il fournir ces fiches de paie, puisqu'il ne travaille plus depuis huit mois? Encore une fois, cette exigence n'avait pas été formulée au moment lors du retrait des formulaires. Mieux, dans la liste des pièces à fournir, datée du 12 février, il est juste spécifié qu'il faut "les bulletins de salaires faisant preuve d'une expérience professionnelle dans le métier pour lequel le demandeur est RECRUTE". Car c'est bien d'un recrutement dont il s'agit. Alors? "Une nouvelle directive de la préfecture", a répondu laconiquement le fonctionnaire. Fin de non reçevoir. Pour Mario, plus aucune perspective d'avenir, alors même que son ancien patron fait tout pour le réembaucher. Pas de papier, pas d'emploi. Pas d'emploi, pas de papiers. Kafka n'aurait pas fait mieux.

Voilà huit mois que Mario vit sur ses économies. Il était bien payé comme maçon, précise t-il. Ils vivent à quatre dans 10 mètres carrés. Chaque mois il règle ses factures rubis sur l'ongle mais peine, dit-il, à nourrir sa famille. Sa femme et lui vivent avec la peur d'être contrôlés, ne se déplacent qu'à pied. Mario a été arrêté trois fois. La dernière, c'était en juin 2008. Après sa garde à vue, il a été retenu un mois à Plaisir (78). Déjà sous un arrêté de reconduite à la frontière, il est passé à deux doigts du charter. Une pétition organisée à l'école maternelle de sa fille aînée et l'intervention de son ex-patron ont permis sa relaxe. Mais demain?

Sans la fameuse "marquise" de l'immeuble qui a interrompu sa chute, Mario serait tombé de huit mètres, peut-être dix. Nous sommes au deuxième étage. Il se serait blessé sans doute, pas tué. Mais aujourd'hui son "cerveau tourne à toute vitesse", et il semble pressé d'en finir. Que penser d'un homme qui est prêt à se tuer parce qu'il ne parvient plus à assumer ses responsabilités de père de famille?

Monsieur Nicolas Sarkozy, Madame Carla Bruni-Sarkozy, Monsieur Eric Besson, si un jour Mario se donne la mort, d'une façon ou d'une autre, sachez que nous vous le ferons savoir. Et ce jour là, vous ne pourrez pas prétendre que vous ne saviez pas.

Tatiana Kalouguine, journaliste freelance.

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